
La Champagne, région mondialement connue pour sa boisson
qui a été inventée par Dom Pérignon,
Père Spirituel des Champenois.
La légende a fait de ce moine bénédictin le Père du Champagne, le fabuleux alchimiste qui aurait fait, pour la première fois, mousser le vin et pétiller les petites bulles autrefois dans nos coupes, aujourd'hui dans nos flûtes levées d'un bout à l'autre de la planète. Notre vin est devenu le symbole de la fête, de l'allégresse partagée, de l'exaltation de la victoire il y a peut être plus de trois siècles de cela, mais l'on n'est sûr de rien.
Une réalité historique incontestable
Le caractère énigmatique qui entoure le personnage commence avec sa naissance qui eut lieu selon les uns en 1640, selon les autres en 1638. II est baptisé le 5 janvier 1639 comme l'atteste le registre de son église paroissiale de Sainte-Menehould, petite bourgade située à l'est de la Champagne. II a donc bien dû naître en 1638, comme Louis XIV, le roy soleil.
Entré à treize ans au collège des Jésuites de Châlons, il en sortit à dix-huit pour embrasser les ordres bénédictins à Verdun, par vocation. Après de solides humanités, Pierre Pérignon apprend "l'art de se plier à une règle, de se mortifier, de s'humilier, d'obéir" nous dit René Gandilhon. II connaît alors une alternance de travail manuel et de prière et complète ses connaissances de théologie et de philosophie dans d'autres couvents avant d'entrer à l'abbaye Saint-Pierre d'Hautvillers. II y restera pendant quarante-sept ans, jusqu'à sa mort en 1715, qui fut également celle du décès de Louis XIV. II reçut l'insigne honneur d'être enterré dans le choeur de l'église abbatiale à côté du dernier père abbé du monastère, ce qui confirme le rôle essentiel joué de son vivant.
Un chef d'entreprise cultivé
Dom Pérignon avait trouvé celui-ci dans un piteux état ; en effet la longue histoire de l'abbaye Saint-Pierre d'Hautvillers peut se résumer en deux mots, destructions et reconstructions.
Dès le 23 mai 1668, sous la signature d'un acte capitulaire, le jeune moine mentionne sa charge de "procureur" ou "cellérier" de l'abbaye, - nous dirions aujourd'hui régisseur ou intendant. II le restera jusqu'à la fin de sa vie : preuve s'il en est de son talent à gérer "l'exploitation du domaine, pourvoir au merrain et à la futaille nécessaire pour les vins... parmi d'autres responsabilités toutes aussi importantes.
Soucieux d'améliorer la qualité
Son arme secrète ne fut sans doute pas seulement la dégustation, mais le procureur d'Hautvillers a su traduire sous une forme réfléchie et intelligente les phénomènes naturels qui influent sur le vin, études des variations de climat, influence sur les différents terroirs, recherches des causes et des effets, ébauche d'une démarche expérimentale.
Dans la mesure de ses moyens, il a démystifié le vin pour le rapprocher de la science et il a si bien réussi que le vin de Champagne a pris dans ce domaine une grande avance sur tous les autres, étant le premier sorti de l'empirisme. Dans les caves, il a apporté un air de danse, la danse de l'esprit.
En raison des talents et de la popularité de Dom Pérignon d'une part, de l'atout qu'il pouvait représenter pour la promotion du Champagne d'autre part, on lui attribua des faits et gestes qui tiennent plus de la fable que de la réalité, d'autant plus sujets à caution que c'est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle que prirent naissance ces allégations.
On a ainsi porté à son crédit le bouchage au liège, ce qui est inexact puisque des bouchons de liège ont été utilisés en Champagne dès 1665, avant même qu'il ne fut établi à Hautvillers. II aurait rapporté cette mode d'Espagne, or il n'y est jamais allé. II aurait modifié la forme des bouteilles et inventé les flûtes à champagne. Tout ceci est sans fondement et n'importe guère, puisque la vérité historique est assez riche pour que l'éminent cellérier puisse être à bon droit reconnu comme l'un des grands personnages de la Champagne et de sa richesse universelle, le vin qui porte ce nom.
L'Abbaye d'Hautvillers est à la Champagne ce que le Tibet est au Monde
"Dom Pérignon, pendant 47 ans cellérier dans ce monastère, qui, après avoir administré les biens de notre communauté avec un soin digne de tout éloge, plein de vertus et en premier lieu d'un amour paternel envers les pauvres, décéda dans la 77e année de son âge, en 1715".
Telle est l'épitaphe que l'on peut lire gravée en latin sur sa tombe. Elle résume bien la vie d'exception de ce moine instruit, intelligent et réfléchi. II mena de main de maître la tâche qu'on lui avait confiée: excellent gestionnaire, vigneron, négociant, "public-relations" avant l'heure, il fut de surcroît un religieux exemplaire qui vécut sa foi dans sa communauté et en dehors d'elle, dans un milieu certainement austère que le jansénisme avait pénétré.
Fut il "l'inventeur du Champagne" ? II est effectivement impossible de répondre avec certitude à une question aussi imprécise. II fut en tout état de cause un personnage clef pour la notoriété et l'évolution des vins de Champagne ! S'il avait été le seul inventeur du Champagne les choses se seraient-elles passées différemment? Qui s'intéresse à ce sujet au regard du charme de la légende que l'on voudrait contester ? Nous avons tous besoin de rêver, besoin de mythes et de héros, comme ceux qui ont peuplé notre enfance et s'allient si joliment aux succès de l'homme. Dom Pérignon avait assez d'étoffe pour rejoindre leur cortège. Si l'on doit admettre que la découverte du Champagne fut l'oeuvre collective de tous ceux qui y travaillèrent, rien de tangible ne permet d'exclure Dom Pérignon de cette oeuvre.
Et le président Marc Brugnon l'a bien compris lui qui conclut : "Dom Pérignon est notre Ancêtre à tous, notre Père spirituel. II est un précurseur et, depuis plus de deux siècles, il reste un modèle pour tous les Champenois du vignoble ou des Maisons, illustres ou inconnus. C'est le protecteur qui continue à veiller sur les bons usages de la Champagne. Personnage historique ?? Personnage de légende ?? II mérite notre plus grand respect".
Eric Glatre - écrivain, Docteur en Histoire,
avec le concours de Patrick Demouy
écrivain-historien, Maître de conférence
à l'université de Reims
Décembre 1995

Photo prise sur les hauteurs de Hautvillers
Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles
Les Fleurs du mal - Charles Beaudelaire